Billet 8 ― L’échographie qui a changé ma vie

Il y a 10 ans, jour pour jour, je passais une échographie qui allait changer ma vie. Je m’en souviens comme si c’était hier. Il neigeait. Mon rendez-vous était à 11 h. Et je partais ensuite pour une réunion hors de la ville. 

La technologue, armée de sa sonde sur ma bedaine de 19 semaines de grossesse, avait les yeux plissés et se grattait le front, perplexe ou inquiète, je n’en étais pas certaine.

Pour faire une histoire courte, je lui ai demandé s’il y avait un problème, et elle m’a dit : “Et bien, vous êtes enceinte de jumeaux!”

Ah! J’ai éclaté d’un rire nerveux hystérique. Des jumeaux, sans blague? J’étais complètement abasourdie. 

 

Puis quelques minutes plus tard, après avoir scruté son écran de près, elle a ajouté : “En fait, j’en ai trouvé un troisième, vous serez maman de triplés. Regardez, trois cocos, on dirait qu’ils font un brainstorming!”

― …

― …

― “Eh, quoi?”

― …

― …

Inspire. Expire. Et disjoncte! Mon conjoint, lui, est presque tombé en bas de sa chaise! 

 

J’étais déjà maman de deux jeunes enfants. Avec ce “dernier bébé”, j’allais devenir maman de cinq enfants. Cinq. 1.2.3.4.5! 

Je travaillais à temps plein et mon mari aussi. Nos carrières étaient exigeantes. Nos familles vivaient loin, dans la province voisine. Et je ne me considérais pas comme la plus maternelle des mamans.

Alors, c’était qui le clown qui croyait que c’était une bonne idée de me “garocher” trois bébés d’un coup?

J’étais une fonctionnaire œuvrant dans les politiques publiques; je le suis toujours. J’étais outillée pour gérer des courriels, des des rapports, des analyses; pas des petits humains en quantité industrielle! Je n’étais pas du tout formée en éducation à l’enfance! Et que dire de mon néant de patience légendaire! 

Ce jour-là, sur la table d’examen, le ventre englué de gel dans ma jaquette d’hôpital, j’étais complètement sous le choc et envahie par la peur.

Peur d’une grossesse à risque, d’un accouchement prématuré, de faire partie des statistiques de risques accrus de dépression post-partum et de divorce dans les familles d’enfants multiples.

J’avais surtout peur de ne pas être à la hauteur. Maintenir en vie trois nourrissons, un bébé de 18 mois et un enfant d’âge scolaire me paraissait insurmontable. Je ne m’en sentais pas la force. Physiquement, mentalement, financièrement, comment se prépare-t-on à une explosion de bébés, de couches et de biberons?

Mais nous avons survécu au tourbillon. Mieux que ça, j’oserais dire que nous avons relevé ensemble ce défi avec brio, avec l’appui de notre entourage. Notre meute est en bonne santé, drôle, dynamique, autonome, pleine de surprises.

Oh, ça n’a pas toujours été rose et les casse-têtes étaient nombreux. J’en aurais pour un livre à raconter les hauts et les bas de cette invasion néonatale! Mais c’est surprenant la résilience qu’on se découvre quand une épreuve se dresse devant nous.

 

Aujourd’hui, j’y repense et je constate que c’est l’événement marquant de ma vie qui m’a le plus appris sur moi-même. Qui m’a sorti de ma zone de confort. Qui m’a fait grandir et me dépasser. Qui a nourri ma confiance en moi. Qui m’a le plus servi, autant personnellement que professionnellement.

Avec du recul, je vois clairement le AVANT et le APRÈS l’arrivée des triplés dans mon approche dans la vie et au travail. 

Voici certaines leçons que cette folle aventure m’a fait découvrir (et je tente de me rappeler constamment):

  1. Demander de l’aide et accepter celle offerte ― les gens sont plus généreux qu’on ne l’imagine et veulent aider, mais ils ne savent pas comment se rendre utiles ou ont peur de déranger. Ou bien, ils offrent de l’aide qu’on décline. Alors il est important d’être spécifique sur tes besoins et d’oser demander exactement les petites et grandes choses qui te rendront la vie plus facile. Et n’hésite pas à accepter avec gratitude les offres d’aide proposées.  

  2. Identifier ses “contrôlables” et les prioriser ― Tu es simplement humaine avec une tête, deux bras et 24 heures dans une journée. Alors, gère ce qui est en ton pouvoir et qui est vraiment ta priorité. Pour le reste, il y a la “Fuck It Switch”. On. Lâche. Prise. 

  3. Se rappeler que FAIT est mieux que PARFAIT ― On m’a inculqué que si une chose mérite d’être faite, elle mérite d’être bien faite. Tu peux même la faire avec excellence si c’est en ton pouvoir. Mais, de grâce, envoie valser la perfection utopique qui paralyse et donne de l’anxiété. C’est Sheryl Sandberg qui disait que “fait est mieux que parfait”. Même si tu n'as pas réglé tous les détails, il vaut mieux que tu aies terminé une tâche plutôt que de faire du surplace. Et ignore (ou met à la tâche) les gérants d’estrades qui jugent sans avoir marché dans tes souliers. 

  4. Réévaluer sa perspective ― Quand une situation dérape, avant de réagir, il est utile de se demander si ce sera encore important dans un mois, un an, une décennie. Si la réponse est non et que, tout compte fait, ce n’est pas si grave, alors on relativise les choses et on peut réagir plus modérément. Il est important de choisir ses batailles.

  5. Gérer, générer et régénérer son énergie ― Tu ne peux pas être brave si t’es exténuée. Ton énergie est précieuse. Alors, dors d’un sommeil réparateur, fais la sieste, médite, joue dehors, bois de l’eau, prends soin ton corps et de ton esprit pour avoir l’énergie nécessaire afin de mener à bien les activités qui en valent vraiment la peine. 

Ces apprentissages, je continue à les mettre en pratique (mais pas à la perfection!) dans toutes les sphères de ma vie. J’ai eu la chance d’avoir un conjoint, des parents, des amis et des collègues fabuleux qui ont accompagné notre famille dans ce parcours qui continue à beaucoup m'apprendre. 

 

En sortant de l’échographie, ce jour-là, tous les deux encore sous le choc, mon homme et moi sommes allés dîner au restaurant. Tout semblait surréel, inconcevable, on n’en revenait pas. À ce moment, il y a 10 ans, je n’avais aucune idée de ce que l’avenir nous réservait. Malgré la peur qui m’envahissait, ça allait devenir l’accomplissement dont je suis la plus fière aujourd’hui .

Et toi, as-tu un moment marquant qui t’a poussée à grandir, à t’adapter et qui te définit aujourd’hui?

 

Photo personnelle. “Brainstorming”.

Photo personnelle. Trio A, B et C.

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